Nathalie Collin, leader emblématique du digital et de l’innovation, engagée pour la mixité

La DGA du groupe La Poste, en charge de la communication et du numérique, témoigne de son parcours emblématique dans le digital. Elle partage son enthousiasme et appelle à un environnement innovant et mixte " Le monde du numérique est en train de devenir le monde tout court ! Il est impossible de considérer qu’il ne sera que masculin."

Nathalie Collin, après avoir évolué dans l’industrie de la musique et les médias, vous êtes aujourd’hui Directrice générale adjointe du groupe La Poste en charge de la communication et du numérique. Comment devient-on une dirigeante d’entreprise d’influence, une femme écoutée et qui compte ? La transition entre ces univers et secteurs, bien que variés, s’est faite naturellement. La raison ?



J’ai toujours fait ce qui me passionne et ai suivi mes envies successives. Les changements de postes s’enchaînent d’une manière fluide quand on est prêt à s’investir à deux cents pour cent sur des sujets qui vous motivent. Au cours de ma carrière, j’ai toujours choisi des domaines avec un challenge fort, qui me passionnaient et surtout, où je pensais pouvoir contribuer et être utile !

Très tôt dans ma carrière, je me suis orientée dans le secteur de la musique, où j’ai exercé une variété de postes de direction, durant douze ans. Puis, avec une réflexion personnelle et volontariste j’ai fait le choix de le quitter, pour un secteur en plein essor : le digital. En effet, le digital commençait à s’imposer à tous les domaines, comme il l’avait fait à ses débuts dans l’industrie musicale, au niveau de la distribution et du marketing, avec la naissance d’ITunes. Par conséquent, j’ai estimé que mon expérience du digital dans la musique serait utile à d’autres transformations, en particulier à celle de la presse.

C’est grâce à ma rencontre avec Agnès Touraine et Edouard de Rothschild, que l’opportunité s’est concrétisée. J’ai rejoint le journal Libération, en pleine période de crise, en tant que Présidente du directoire, avec pour objectif de recapitaliser ce média. Ce qui fut un succès ! En 2011, je rencontre Claude Perdriel et j’intègre alors Le Nouvel Observateur en tant que coprésidente du directoire et directrice générale du Groupe avec de très beaux projets digitaux. A cette période, le site est d’ailleurs devenu le troisième vecteur digital d’informations.

Trois ans plus tard, j’ai rejoint le Groupe La Poste. La vision de Philippe Wahl, Président directeur général de ce Groupe, sur les enjeux de communication et surtout du digital m’inspirait. Le passage du milieu des contenus à celui de la transformation digitale, à plus grande échelle, était assez naturel et une nouvelle route passionnante s’ouvrait.

Si je devais dégager un fil rouge ? A chaque fois, j’inscris mon parcours en me demandant comment mon expérience précédente peut être utile à un nouveau challenge. Avec constamment à l’esprit l’importance de l’expérience client et l’intensification de la digitalisation des usages.

 

Quels ont été les leviers mais aussi les obstacles dans votre évolution de carrière ?



En tant que femme, j’ai rencontré de nombreux obstacles. J’ai aussi fait face à des comportements et des remarques sexistes, bien sûr comme nous toutes ! Une femme, doit constamment démontrer sa compétence ; et le procès en légitimité n’est jamais loin. Il n’y avait aucune patronne de maison de disque lorsque je dirigeais Virgin ou EMI Music. Un métier accaparant, notamment en termes d’horaires ; de présence au bureau et puis concerts le soir, ce qui est assez exigeant quand on est une jeune mère de famille, même si c’est tout de même très attrayant, je vous l’accorde. Ces secteurs, la musique, la presse sont d’ailleurs toujours très masculin.

Et puis, n’oublions pas la charge mentale qui pèse davantage sur les femmes que sur les hommes. Les études l’ont clairement démontré pendant la période de confinement. Et vous mesdames qui lisez cet article, comprenez parfaitement ce que je veux dire.

Il existe néanmoins un fil rouge entre les fonctions variées que j’ai exercées, ce sont des postes prenants, exigeants, passionnants, en pleine transformation et très impactés par le digital.

 

Dans des interviews accordées précédemment, vous appelez à un monde digital plus féminin. Au-delà de l’enjeu de la parité, quels sont les atouts des femmes dans ce domaine ? Comment cette parité se concrétise au sein du groupe La Poste ?



Le monde du numérique est en train de devenir le monde tout court ! Il est impossible de considérer qu’il ne sera que masculin. Prenons l’exemple des algorithmes, ils seraient le cas échéant faits par les hommes et pour les hommes ? Impossible ! J’appelle à un monde de mixité !

Dans le domaine du digital non plus, les compétences ne sont pas sexuées. Nous avons besoin des femmes et des hommes ! La mixité est essentielle pour un travail constructif et apaisé au quotidien et des projets réussis.

Au sein du groupe La Poste, nous défendons la parité. En 2019, nous avons atteint 94/100 pour l’index d’égalité femmes-hommes. Le Comex est composé de trois femmes et sept hommes. Au global, nous recensons 52% de femmes et un peu moins de 40% pour des postes de types cadres dirigeants et stratégiques. Parmi les dirigeantes, celles-ci sont responsables de nombreux collaborateurs. Je pense notamment à Anne-Laure Bourn, Directrice générale du Réseau La Poste, qui fédère plus de 60.000 personnes et à Line Exbrayat, la patronne des facteurs.

Philippe Wahl promeut les femmes quand elles sont compétentes et c’est certainement la meilleure démarche pour faire progresser cet enjeu de mixité. Un programme de formation des cadres dirigeants a vocation à constituer des viviers. La parité est respectée au niveau des Ambassadrices et des Ambassadeurs du Groupe. Pour ma part, je salue Valérie Decaux, Directrice des ressources humaines Groupe, pour son engagement en faveur de l’égalité professionnelle femmes-hommes, qui est déterminante.

Au niveau du digital, plusieurs dispositifs ont été mis en place. French IOT par exemple, notre programme innovation start up à qui j’ai donné un objectif de parité 50-50 pour booster l’entrepreneuriat au féminin. Et je tiens vraiment à que ce chiffre soit atteint chaque année. A contrario, nous peinons encore à obtenir la parité pour notre Concours du meilleur développeur de France : Mesdames, candidatez on a besoin de vous. Je veille également à ce que mon comité de direction observe la parité.

L’important c’est, au départ, la formation. Il faut encourager les filles à étudier les sciences et la technologie. Puis, il s’agit de les accompagner avec la volonté de faire bouger les lignes. Et nous l’avons !

 

La crise actuelle que nous traversons bouscule notre société et nos repères. Quels sont les impacts de cette crise sanitaire sur la transformation digitale ?



La crise actuelle a accéléré considérablement la digitalisation. En quelques mois, nous avons gagné deux ou trois ans en termes d’usage du digital : conférences et réunions de travail réalisées 100% online, explosion du e-commerce, de la recherche d’informations en ligne, opérations sans contact... A titre d’exemple, le nombre de visiteurs uniques sur notre boutique en ligne a bondi : il est passé de 23 à 35 millions de visiteurs uniques par mois.

Néanmoins, gardons à l’esprit que le développement et l’accroissement du digital exerce une pression croissante sur les activités traditionnelles et physiques, qui bien qu’indispensables, par conséquent diminuent.

Je suis convaincue qu’à l’aune du numérique, cette intensification du digital et l’adoption de ses usages par les citoyens constitue un Momentum positif ! Et une opportunité de combiner des expériences digitales et physiques. Concrètement, cela permet de simplifier les process, de réaliser des économies et de fluidifier l’expérience client, en harmonisant le digital et le physique ce qui est complexe.

 

A l’ère du tout digital, quels conseils préconiseriez-vous à une femme souhaitant se reconvertir dans ce domaine et/ou à une étudiante qui hésite à s’engager dans cette filière ?



Premièrement, il faut être un passionné du client. Le digital c’est avant tout sans cesse améliorer les parcours client encore et encore ; c’est difficile mais le reste suivra si vous offrez la meilleure expérience client. De ce point de vue, c’est un changement de paradigme. Le digital est une extension du marketing, individualisé et poussé à l’extrême.

Deuxièmement, il faut avoir une appétence pour les technologies et les datas : AB testing, data mining, data driven, data analysis, etc. Cela parait évident mais c’est une condition pour réussir car c’est le moteur de toute action dans le digital.

Enfin, il faut comprendre les équilibres, le rôle des infrastructures, des GAFA, les différents éléments de la chaîne de valeur, les enjeux de souveraineté et finalement comprendre où se joue la valeur.

 

Vous vous engagez pleinement pour l’égalité femmes – hommes. Comment faire progresser, selon vous, cette égalité, notamment au niveau de la gouvernance des entreprises ? La législation actuelle est-elle suffisante ?



Au quotidien et dans mon périmètre, je m’investis pour plus de parité et une égalité femmes-hommes renforcée. Cela se concrétise en paroles et surtout en actes. J’interviens à l’occasion de différents colloques sur des thématiques variées. Je suis marraine de plusieurs prix pour des start-ups innovantes, crées par des entrepreneures, de la Journée de la Femme Digitale 2020,…

Néanmoins, et bien que je n’en n’étais pas convaincue au début ma carrière, je suis désormais persuadée que l’instauration de quotas a eu un impact positif au niveau de la représentativité des femmes dans la gouvernance des entreprises (Comex, Codir, CA, etc.). Toutefois, des progrès conséquents sont encore nécessaires afin de briser complétement le plafond de verre. Je pense que la législation devrait aller plus loin. Il faut forcer le changement. Par exemple, pourquoi ne pas développer la dimension égalité femmes-hommes dans les bilans annuels RSE ? En effet, lorsque l’on appose un indicateur sur une notion, celle-ci prend davantage d’ampleur.

De plus, il faut que les femmes puissent découvrir et prendre pour exemple des femmes impliquées et pionnières qui leurs prouvent que c’est possible et qu’elles peuvent oser.

Car le monde de l’entreprise est encore trop codifié « masculin » ; et il est plus difficile d’évoluer hiérarchiquement en tant que femme. C’est en tous cas encore trop souvent le cas.

Et en ce jour de disparition de Gisèle Halimi, écrivaine et avocate (l’interview a été réalisée le 28/07/2020), sa volonté doit, au quotidien, résonner auprès de toutes et tous : "Je dis aux femmes trois choses : votre indépendance économique est la clé de votre libération. Ne laissez rien passer dans les gestes, le langage, les situations, qui attentent à votre dignité. Ne vous résignez jamais !" Un bel encouragement, toujours d’actualité.

 

Le mot de la fin ?



Ma grand-mère me répétait « Le non tu l’as déjà, va chercher le oui ! ». Cette maxime m’a accompagnée et renforcée tout au long de mon parcours.

Alors, allez-y les filles, n’ayez pas peur. Vous êtes capables !