[Témoignage] « Les jeux paralympiques ont changé ma vie » avec Thu Kamkasomphou, championne de para tennis de table

Dans le cadre de l’Année des mixités de la Caisse des Dépôts, le réseau Alter Egales a proposé à ses membres une rencontre inédite le jeudi 19 septembre dernier avec Thu Kamkasomphou, figure emblématique du handisport et collaboratrice du Groupe La Poste. A cette occasion, la championne à l’impressionnant palmarès a partagé son parcours exceptionnel, ses combats en tant que sportive en situation de handicap, la force mentale qui l'anime ainsi que les évolutions du handisport et celles qu'elle espère.

Née au Laos, Thu Kamkasomphou arrive en France à l’âge de dix ans. « J’ai rapidement pratiqué le football, puis mon père m’a proposé de commencer le tennis de table » explique Thu.

Rapidement, cette nouvelle passion prend le dessus. À 17 ans et demi, Thu Kamkasomphou brille. Et alors qu’elle est classée n°8 junior française et n°38 au niveau senior, à 18 ans, on lui diagnostique une périartérite noueuse, une maladie auto-immune, ce qui l'oblige à abandonner la compétition chez les valides. 

Malgré les contre-indications de ses médecins, Thu veut absolument continuer le « ping ». À 30 ans, elle découvre le tennis de table handisport, son rêve de haut niveau est désormais à portée de main. Aujourd’hui, à 55 ans, Thu possède un palmarès qu’elle n’aurait pas imaginé en pratique « valide » et qui fait pâlir bon nombre d'athlètes : deux titres olympiques, deux mondiaux, huit européens et... seize sur le plan national. Elle est actuellement membre du top 3 mondial et championne du monde en titre.

 

Pouvez-vous présenter vos débuts sportifs et les incidences de votre handicap sur votre parcours ?

Thu Kamkasomphou : J’ai commencé le tennis de table à 12 ans et c’est très vite devenu plus qu’un sport, une véritable passion. Mon cursus fut normal avec mon entrée au pôle régional de Rennes puis mon arrivée au Centre du Haut-Niveau de Caen. À l’époque, j’étais classée numéro 8 junior française et je jouais en Super Division. À l’âge de 17 ans et demi, mon entraîneur découvre une tache sur mon bras… Trois semaines plus tard, à la suite d’une biopsie, le dermatologue diagnostique une maladie rare : la périartérite noueuse. 

Immédiatement, très égoïstement, je me suis demandé : pourquoi moi ? J’avais une excellente hygiène de vie, je m’entraînais beaucoup, j’étais très sérieuse, et que cela me tombe dessus, je trouvais ça incroyablement injuste.

Le sport, c’est fini et je ne pourrai plus jamais travailler en position debout, la maladie ayant atteint les jambes.  À ce moment-là, je fais le seul choix qui me paraît possible : je décide avec l‘insouciance de la jeunesse de me donner une chance et de donner tort aux médecins… Je vais continuer le ping, parce que le ping c’est ma vie.

Moi qui m’entrainais plusieurs heures par jour, je suis obligée de limiter mes efforts et de faire avec cette maladie que la médecine connaît mal. Mon niveau de ping évidemment s’en ressent. Dès l’annonce de ma maladie, les portes du Centre de haut-niveau se sont fermées… d’un coup, sans préavis. C’est difficile à accepter, mais je n’ai pas d’autre choix que de me soumettre à leur décision, on ne m’a pas demandé mon avis. Je continue à m’entraîner parfois debout, parfois assise. 
J’ai été arrêtée un an, je suis tombée à la 43ème place Française (ce qui reste très honorable) mais j’ai repris et ai continué mon bonhomme de chemin de sportive.

Et un jour, vous découvrez le paralympisme…

Thu : Joueuse « valide » jusqu’en 1999, j’ai reçu un appel qui a changé ma vie. Je décroche, c’était le directeur technique fédéral de la Fédération française handisport, il me demande si cela m’intéresse de participer aux Jeux Paralympiques.  Sur le moment, je n’ai pas compris parce que pour moi les Jeux Paralympiques, c’est pour les personnes handicapées. Les personnes en fauteuil, les amputations… Moi, j’ai mes quatre membres, je ne me sentais pas handicapée. Vous savez, c’est un mot très fort que je ne voulais pas entendre. Je n’acceptais pas le fait de souffrir d’un handicap et là, soudainement, on me demandait d’une certaine façon de le mettre en avant. Oui, j’ai un handicap mais j’ai développé d’autres sens. C’est le choix que j’ai fait.

Il m’a fallu une nuit blanche de réflexion avant de prendre ma décision et d’accepter. C’est mon côté compétitrice qui a parlé. C’est comme cela que j’ai débuté dans le handisport à trente ans. 

Pour moi, l’aspect physique n’a aucune importance. Ce qui est important, c’est tout ce qui est mental, les objectifs que l’on se fixe et à partir de là, il n’y a plus qu’à s’éclater … ! Moi, je me suis fixé l’objectif d’être championne du Monde, championne Paralympique mais pour d’autres, ce sera de faire un plus beau gâteau ; pour d’autres encore, ce sera de chanter ou de faire un voyage … A partir du moment où on est vivant, il faut foncer. Il y a pire que nous !

Le diagnostic est une chose, le mental qui vous anime en est une autre. J’ai toujours été une guerrière, une teigneuse. Si j’avais accepté les limites que l’on m’imposait, je n’en serais pas là aujourd’hui. Je pense que, quelle que soit la situation, on ne doit pas se fixer de limites, surtout celles que la société semble devoir imposer. Il ne faut jamais penser que l’on n’est pas capable, que l’on peut ne pas y arriver, mais on doit essayer.

La petite fille qui a commencé le tennis de table à 12 ans rêvait de devenir championne du monde ou olympique un jour, mais je n’aurais sans doute jamais réussi à le réaliser chez les valides ! Grâce au handisport, j’ai réalisé mon rêve.Et voilà, 25 ans plus tard, je fais toujours du sport de haut niveau.

Comment conciliez-vous sport de haut niveau, vie professionnelle et vie personnelle ?

Thu : J’ai une vie active bien remplie entre mon poste de chargée de communication au sein du Groupe La Poste, mes entraînements et mes conférences en entreprise pour ouvrir les consciences au monde du handicap.

Tout cela ne serait pas possible sans mon employeur qui me dégage du temps que je peux consacrer à mon entrainement et à ma préparation physique et mentale. 

Mon handicap de jambe (périartérite noueuse) ne me permet pas de m’entraîner autant d’heures que je le souhaite. Quand j’étais valide, jusqu’à 18 ans, je m’entraînais deux fois par jour. Là, on va davantage parler de qualité d’entraînement. S’entraîner beaucoup sans mettre de la qualité ne sert à rien. 

Je peux faire 1 h 15 par jour pendant deux jours, puis je me consacre aux soins et à la récupération, primordiale par rapport à ma pathologie. J’ai également de la préparation mentale et physique. Ce sont au total 12h par semaine consacrées au ping.

Mon palmarès appartient aussi au Groupe La Poste.

Comment avez-vous vécu vos 7èmes jeux paralympiques, cette année à Paris ?

Thu : C’est la 1ère fois en 24 ans que je reviens d’une compétition internationale sans médaille … Je suis d’autant plus déçue parce que ce sont des Jeux à la maison et je reviens sans médaille. Déçue pour moi, pour mon public et pour le public français vraiment génial depuis le début des épreuves. Je vais prendre le temps avec mon équipe de faire un bilan et d’en tirer des leçons, il y a certainement des choses à changer et on avancera ensemble vers un nouvel objectif Los Angeles 2028.

Mes difficultés, je les vis comme un challenge. Je cherche comment faire différemment pour les contourner, les dépasser et continuer d’avancer. Notre vie est en permanence des haies, soit tu les sautes, soit tu restes devant et tu fais du surplace. J’essaie donc de trouver des solutions pour les passer. Si je ne peux plus les sauter, je les fais tomber pour passer au-dessus. 

Pensez-vous que l’engouement pour les jeux paralympiques puisse faire évoluer durablement la question du handicap dans le sport mais plus largement dans la société ?

Thu : Il y a vingt-cinq ans, on regardait le handicap de manière très différente, avec moins de bienveillance et de compréhension qu’aujourd’hui.

Lors des JOP 2024, il y’a eu beaucoup de retransmissions accessibles au grand public, c’est forcément positif, notamment pour les sponsors car la visibilité intéresse les partenaires si la performance est là. On est pris de plus en plus au sérieux. On ne cache plus les handicapé·e·s comme avant, il y a également plus de sensibilisation dans les écoles et les entreprises. Sur le plan de la performance sportive, il y a une véritable évolution des matériaux pour les prothèses, désormais en carbone, qui les rendent plus performantes, flexibles et solides. Il y a plus de moyens accordés aux paralympiques dans la préparation, comme des nutritionnistes, des préparateurs mentaux et physiques, etc. 

L’étape d’après, c’est que l’engouement perdure après les Jeux de Paris 2024 et qu’il y ait encore plus de reconnaissance des athlètes paralympiques comme des installations sportives à leurs noms.

Au-delà du sport, il y’a bien sûr l’accessibilité des espaces publics, des transports en commun… Aujourd’hui se pose la question de comment faire évoluer l’environnement aux personnes en situation de handicap et non l’inverse, dans une démarche d’égalité des chances.

Vous êtes l'un des plus beaux palmarès du sport français, avez-vous encore des défis à relever ?

Thu : On me demande souvent après quoi je cours encore. Ma réponse est simple : quand vous adorez un plat, vous souhaitez toujours en manger de nouveau. Pour moi, c’est pareil avec les médailles. Et si je la gagne, je voudrais gagner la suivante et encore et encore… L’appétit est toujours là, parce que je suis gourmande en plus.

Tant que mon corps me le permettra et que l’envie sera là, je continuerai. Ce qui est important, ce n'est pas le physique, mais ce qu'il y a dans la tête, dans le cœur, et les objectifs que l'on se donne !

 

Cette conférence a permis de mettre en valeur le parcours singulier et les performances exceptionnelles de Thu, et de faire mieux connaitre l’engagement et les actions de la Fédération Française Handisport, avec l’intervention de Grégory Saint-Géniès, directeur technique et directeur général de la FFH.

Un grand merci à Olivier Sichel, directeur général délégué et directeur de la Banque des Territoires, et à Nathalie Tubiana, directrice des finances et de la politique durable du Groupe, sponsors de cet événement dans le cadre de l’Année des mixités de la Caisse des Dépôts.

 

Interview de Mélanie Guillot-Toudert, responsable communication et partenariats Alter Egales.