Une femme au coeur de la relance, engagée pour l’intérêt général

Anne-Sophie Grave, votre parcours se construit dans le monde de l’immobilier, depuis plus de 20 ans. Vous évoluez avec brio de la maîtrise d’ouvrage à de nombreuses positions de Directrice générale et depuis décembre 2020, vous êtes présidente du directoire de CDC Habitat. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre fonction actuelle à la tête de l’opérateur immobilier global d’intérêt public du groupe Caisse des Dépôts (CDC). Présidente d’un directoire, qu’est-ce que cela implique ?

Bonjour Alter Egales, merci de cette belle opportunité. 

Avant de revenir sur mes fonctions, je vous propose une brève présentation du groupe CDC Habitat. 

Le Groupe CDC Habitat est un opérateur global de l’habitat d’intérêt public, présent sur tous les segments du marché, du logement très social avec de l’hébergement d’urgence, au logement social, et intermédiaire, jusqu’à l’accession sociale à la propriété. Nous intervenons également sur des projets complexes, comme le redressement de copropriétés dégradées, ou dans le cadre du programme Action cœur de ville avec la rénovation de bâtiments anciens. Nous participons aussi à de grands projets, comme le Village des Athlètes pour les Jeux Olympiques de Paris 2024. 

Le Groupe gère 525 000 logements dont 90 000 en Outre-Mer, dans l’Océan Indien, aux Antilles et en Guyane. 

De plus dans le cadre de la réorganisation du secteur du logement social, le Groupe a noué 35 partenariats avec des organismes de logements sociaux, en prenant des participations de 30 à 40 %. Ce réseau des partenaires représente environ 300.000 logements. 

Le modèle du Groupe CDC Habitat est ainsi en pleine transformation, évoluant d’un Groupe très intégré, avec des process industrialisés, à une organisation qui fonctionnera davantage en réseau, ouvert à des partenaires, et en capacité de délivrer des services sur-mesure. 

J’ai été nommée présidente du directoire du Groupe en décembre 2020. Ma fonction consiste à définir les orientations stratégiques du Groupe en lien avec l’actionnaire Caisse des Dépôts, et à assurer le pilotage de l’ensemble des activités. Le mode de gouvernance est collégial, avec un Directoire constitué de trois personnes : moi-même en tant que Présidente, le directeur général et le directeur général adjoint en charge des finances et des participations stratégiques. Chacun a des champs d’action privilégiés. En ce qui me concerne, au-delà des compétences générales, il s’agit de la supervision du réseau des Directions Interrégionales ainsi que du réseau des partenaires, dans l’objectif de renforcer notre visibilité territoriale au travers de projets de territoires. 

Par ailleurs, dans le contexte actuel où nous sommes confrontés au risque d’une crise de l’offre résidentielle, CDC Habitat a un rôle majeur à jouer pour contribuer à la relance de la production de logements. En tant que présidente du directoire, il me revient aussi d’impulser cette orientation stratégique.

En résumé : la stratégie, le pilotage mais aussi impulser les transformations ! 

Par exemple la transformation numérique du Groupe, l’innovation ouverte, ou les évolutions à venir dans les modes de production de logements, induits par la Loi Climat, notamment pour répondre à l’enjeu de non-artificialisation des sols. 

 



Vous êtes la première et la seule femme à diriger l’une des filiales du groupe CDC, quelle posture adopter ? Qu’est-ce que cela représente ? 

C’est tout d’abord une belle marque de confiance de la part du Directeur général de la CDC, Eric Lombard et du Directeur général délégué, Olivier Sichel. 

Lorsque j’arrive sur un nouveau poste, je m’interroge d’abord sur les enjeux du Groupe que je vais être amenée à diriger, sa culture, ses équipes et les voies et moyens de répondre aux enjeux. Comment être à la hauteur des attentes des parties prenantes du Groupe, ses 10 000 collaborateurs, ses clients, son actionnaire, et ses partenaires, notamment les collectivités sur les territoires ? 

Quant à la posture, il s’agit avant tout d’être soi-même ! 

Ma nomination à la tête du Directoire est aussi, me semble-t-il, un signal fort envoyé par le groupe CDC, quant à l’ouverture de tous les postes aux femmes, quel que soit le niveau de responsabilité ou le secteur. 

Pour ma part, je suis favorable à la diversité au sein des organes de gouvernance et de direction, que ce soit au travers de la mixité, des âges, des formations, des expériences. Il est important de partager les regards, les approches par la richesse des parcours, des personnalités et confronter les expériences. 

 



Votre nomination impulse-t-elle un changement dans le secteur de l’immobilier, traditionnellement reconnu comme très masculin ?



 

ma nomination à la tête du directoire est un signal fort envoyé par le groupe CDC, quant à l'ouverture de tous les postes aux femmes, quel que soit le niveau de responsabilité ou le secteur.



Ces derniers mois, il y a eu une séquence dans le secteur de l’immobilier, avec cinq nominations de femmes sur des postes emblématiques. Emmanuelle Cosse, en tant que présidente de [l’Union Sociale pour l’Habitat (USH)->https://www.union-habitat.org/], Nadia Bouyer, en tant que Directrice générale [d’Action Logement->https://www.actionlogement.fr/], Véronique Bédague, en tant que Directrice générale de Nexity, un des premiers promoteurs immobiliers, Caroline Delgado, en tant que Directrice générale de [REI Habitat->https://www.reihabitat.com/], promoteur immobilier très engagé sur la construction en bois et moi-même ! Donc ça bouge. 

Néanmoins le secteur reste encore majoritairement masculin, car il faut le temps de constituer des viviers et favoriser l’orientation des jeunes femmes vers les métiers de l’immobilier ou du bâtiment, qui reste traditionnellement très masculin. Néanmoins là aussi ça bouge. Il y a de plus en plus de femmes cheffes de chantier ou de responsables de programme dans la maîtrise d’ouvrage. Par exemple, la directrice de la maîtrise d’ouvrage chez [Adoma->https://www.adoma.cdc-habitat.fr/adoma/Accueil/p-730-Vivez-l-habitat-so…] est une femme.

Cette ouverture plus large de ces métiers aux femmes, influe en conséquence sur les postes de direction générale. 

 



Force est de constater que vous avez très souvent (ou toujours ?) succédé à des hommes, sur des postes stratégiques et à très hautes responsabilités, en tant que Directrice générale et Présidente. Avez-vous été confrontée à des difficultés, des obstacles ? Et si oui, comment les expliqueriez-vous ? 

Je n’ai pas été confrontée à des difficultés ou à des obstacles, du moins pas plus que tout nouveau dirigeant qui prend en main une nouvelle entreprise. 

Dans le domaine de l’immobilier, j’ai succédé à des hommes, des dirigeants de grande renommée, qui avaient très fortement incarné leur entreprise et contribué à la développer. Le défi résidait dans la succession et l’incarnation ! En effet, les collaborateurs s’interrogent naturellement lors d’un tel changement sur les orientations à venir, mais c’est aussi pour eux l’occasion de formuler de nouvelles attentes. Et l’enjeu est bien d’impulser rapidement dans le cadre des nouvelles orientations stratégiques, les réponses à ces attentes, d’engager les transformations nécessaires, et donner du sens et de la cohérence aux actions menées. Cela peut passer aussi par d’autres modes de management. 

En ce qui concerne mon poste de Directrice des [Retraites et de la Solidarité - DRS (aujourd’hui Direction des Protections Sociales)->https://retraitesolidarite.caissedesdepots.fr/], auquel j’ai été nommée en mars 2011 par Augustin de Romanet, alors Directeur général du groupe CDC, le contexte était différent. J’exerçais alors en filiale, au sein du groupe SNI, devenu depuis CDC Habitat. Le défi consistait à s’engager dans un nouveau métier pour moi, avec une culture d’entreprise très différente, challenge assorti de transformations et d’impulsions stratégiques à engager pour développer de nouvelles activités, comme nous l’avons fait avec la création du compte personnel de formation. 

 



Vous êtes une femme au cœur de la relance. En réponse à la crise sanitaire et économique, le plan de relance proposé par CDC Habitat a à son cœur l’ambition de relever le défi de la production de logements sociaux et abordables. Pourriez-vous nous en dire plus ? Comment y associez-vous l’enjeu de mixité sociale ?

A mon sens, il y a relance 1 et relance 2. 

Relance 1.Premier confinement, les promoteurs s’inquiètent alors sur la commercialisation de leurs logements, les bulles de vente étant fermées. En réponse, pour contribuer au soutien de la production de logements, le groupe CDC Habitat lance en mars-avril 2020, un appel à projets auprès des promoteurs, pour acquérir 40.000 logements (locatif social, intermédiaire ou quasiment libre). 40 000 logements ont ainsi été précommandés fin 2020, 10 500 contractualisés et autant de chantiers démarrés début 2021.

Relance 2. En 2021, d’autres sujets s’invitent. On constate en ce début d’année, un ralentissement des autorisations d’urbanisme (-18 % sur le logement collectif par rapport à la période antérieure au premier confinement). On ne voit pas les projets redémarrer dans cette période post élections municipales, ce qui nous fait craindre une crise de l’offre de logements. Face à la crise sanitaire, les élus s’interrogent sur les modes d’habiter demain, mais aussi sur l’impact de la non-artificialisation des sols prévue dans la loi Climat. L’évolution de la fiscalité locale, avec la suppression de la taxe d’habitation, entre également dans leurs considérations. 

Par ailleurs, les agréments de logements locatifs sociaux ayant fortement diminué en 2020 (de l’ordre de 17 %), la Ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, a lancé un appel aux bailleurs sociaux en fixant un objectif de production de 250.000 logements sociaux sur deux ans. Pour y répondre, nous avons initié un nouvel appel à projets au mois de mars, afin d’engager la capacité à produire 30.000 logements sociaux. Nous cherchons à nous positionner en accélérateur de projets, en intervenant le plus en amont possible, soit sûr de l’acquisition foncière, du portage foncier, du recyclage de bâtiments, voire de la transformation de bureaux en logement. Cet appel à projets territorialisé, s’adresse tant aux promoteurs, qu’aux collectivités, aux établissements publics d’aménagement ou aux établissements publics fonciers et porte sur une large palette de produits : logement familial, résidence étudiante, médico-social, etc. 

 



A ce titre, diriez-vous que l’intérêt général est le fil rouge de votre carrière ?

Cela est plutôt bien vu ! L’intérêt général est au cœur de mes actions et de mon engagement. D’une part, l’habitat est une réelle problématique de politique publique. D’autre part, à la DRS, je traitais aussi de sujets sociaux essentiels, au premier rang desquels la retraite. Nous avions aussi créé et développé le Compte Personnel de Formation, devenu Mon Compte Formation, afin de répondre au besoin de se former tout au long de sa vie. 

 



Aujourd’hui, le terme d’habitat est préféré à celui de logement. L’habitat s’inscrit dans un écosystème global et vise à respecter les objectifs de transition écologique et énergétique. Quelles sont les innovations proposées par CDC Habitat en ce sens ?

En ce qui concerne la transition écologique et énergétique (TEE), pour le Groupe, la priorité est d’amener le parc immobilier existant à un très bon niveau d’étiquette énergétique, ce qui se traduit par un plan massif de réhabilitations thermiques. Aujourd’hui, CDC Habitat est très bien positionné sur cet enjeu puisque sur le périmètre CDC Habitat et CDC Habitat social, seul reste 1,7 % du parc en étiquettes F et G à traiter, soit les logements les plus énergivores. La consommation énergétique moyenne du parc est à moins de 150 kWh d’énergie primaire par m2, soit l’équivalent d’une étiquette C, ce qui est une belle performance et nous permet d’être dans une démarche doublement gagnante. Tout d’abord pour nos locataires, puisque lorsque nous réduisons leur consommation énergétique, cela réduit les charges et donc les quittances. En effet, après une réhabilitation thermique, nous observons une réduction significative de la consommation énergétique d’environ 30% ! Et puis ensuite parce que c’est bon pour la planète ! 

Nous travaillons aussi à mieux accompagner nos locataires en vue de les aider à agir sur la maîtrise de leur propre consommation énergétique. Nous avons donc engagé une large démarche de lutte contre la précarité énergétique. 

L’un des grands enjeux de demain, porté par la loi Climat, est celui de la sobriété foncière, c’est-à-dire comment construire sans consommer trop de foncier. Nous travaillons aussi avec CDC Biodiversité sur ces sujets, en finançant de la compensation d’imperméabilisation de sols. 

En ce qui concerne les constructions nouvelles, le Groupe s’inscrit dans les futures réglementations environnementales qui intègrent par exemple les stratégies bas carbones ou encore le confort d’été. Nous travaillons également à l’élaboration d’un plan d’adaptation de nos bâtiments aux changements climatiques : tempêtes, inondations, séismes, canicules, cyclones, etc. Nous étudions chaque territoire, afin d’identifier les risques qui leur sont propres, avec un point de vigilance pour l’Outre-mer. Plutôt que de faire du curatif, il s’agit d’anticiper en cartographiant notre parc, et en améliorant la résilience de nos bâtiments. 

Nous nous engageons aussi dans l’économie circulaire avec le recyclage des déchets de chantier par exemple. 

Enfin, le champ de l’innovation concerne également les domaines techniques, numériques et les services aux clients. A titre d’exemple, dans la stratégie des bâtiments connectés qui est en réflexion, le numérique et l’intelligence artificielle pourraient permettre de mettre en place une maintenance prédictive et d’améliorer ainsi le service aux clients par la diminution des pannes d’équipements. 

Dans les réflexions à venir, se pose aussi la question des « modes d’habiter demain », pour laquelle je souhaiterais organiser un hackathon, afin croiser les regards sur cette ambition en partant des usages du logement entre architectes, promoteurs, entreprises du bâtiment, élus et habitants. La crise sanitaire nous a poussé à avoir un autre regard sur notre logement. Celui-ci a un usage différent tout au long de la journée, de sa vie. Nous avons des attentes différentes par rapport au logement de demain, avec des logements évolutifs, des extérieurs plus généreux, etc. 

Nous sommes donc à un moment-clé, voire à un tournant important, tant dans les modes de production que dans les modes d’habiter ! 

 



La mixité. Comment résonne-t-elle au sein de CDC Habitat ? Des accords ont-ils été mis en place ? Quelles sont vos priorités pour favoriser l’égalité femmes-hommes au sein de l’entreprise ? Accordez-vous une attention particulière à la promotion de la mixité et de la parité ?  

L’Index égalité de CDC Habitat est de 93/100. Nous avons un accord égalité femmes-hommes qui adresse les sujets et moments-clés de la vie professionnelle : retour de congés maternité, les promotions, etc. Il comporte aussi une vigilance précise sur les écarts de salaires : si l’on constate sur une catégorie de métier, à compétences équivalentes, parcours similaires, un écart de salaire de plus de 5%, l’accord prévoit un rattrapage dans le cadre des NAO. Et si la négociation n’aboutit pas, il est prévu un montant minimal consacré au rattrapage de l’écart de rémunération. 

La promotion de la mixité et de la parité nécessite d’y être vigilant dans la durée, en étroite coordination avec la DRH, afin de s’assurer des conditions favorables à sa mise en œuvre. 

 



Appelez-vous à un réseau de mixité au sein du groupe CDC Habitat (au-delà de celui lancé par une de vos filiales) ?

En effet, un réseau de mixité vient d’être créé dans notre filiale, [Maisons & Cités->https://www.maisonsetcites.fr/][->], Cit’Elles.  

Pour CDC Habitat, j’aurai plutôt tendance à privilégier le réseau Alter Egales, car c’est le réseau du Groupe CDC et je pense qu’il est intéressant d’avoir cette ouverture sur les parcours et les expériences au sein de l’Etablissement public et des différentes filiales de la Caisse des Dépôts. 

 



Alter Egales fête cette année ses 10 ans d’existence et d’engagement pour l’altérité, l’égalité, la solidarité et bien pour sur la mixité ! Quels seraient vos souhaits pour ce réseau et ses membres ?

A sa création, j’étais membre d’Alter Egales et active au sein du réseau, dont je salue sa fondatrice, Anne de Blignières et sa présidente actuelle, Virginie Chapron du Jeu. 

C’est une bonne chose que ce réseau existe mais, si je me projette à dix ans, mon souhait serait qu’il n’existe plus, que nous n’en ayons plus besoin. Au-delà des lois, les réseaux ont beaucoup contribué à faire évoluer la mixité, notamment sur les postes à responsabilités. Le réseau doit être porté au plus haut niveau, pour trouver toute sa légitimité dans la politique de l’entreprise. C’est ce qui fait bouger les lignes. 

 



Question bonus : Ce qui vous inspire chaque matin ?

Un bon café et un ciel bleu !

 

 

Le mot de la fin ?

Être soi-même, se faire confiance, oser, bouger pour évoluer professionnellement. Il faut être acteur et moteur des opportunités qui se présentent à nous.